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Lettre aux timides et introverti(e)s

par
publié le
Gemini

On te dit réservé, introverti ou, pire : timide ? On te le reproche, comme si c'était une tare, et que, de surcroît, tu le faisais exprès ? Tu as déjà entendu ce discours lors de ta scolarité :

Tu pourrais réussir, dommage que tu sois si timide

Tu te sens dénigré par toute une partie de la société qui ne jure que par l'extravagance, qui t'explique à longueur de journée que pour exister il faut s'exprimer, plus fort que l'autre si possible.

On te l'a tellement dit que tu y crois, tu n'arriveras jamais à rien, ta parole n'a pas d'importance. Et de toute façon qui t'écouterait ?

Cet article est pour toi !

Pourquoi j'en parle maintenant ?

Parce que.

Ce qui en soit est déjà une très bonne raison. Je veux dire par là que j'entends autour de moi tout le monde donner son avis sur tout, en particulier quand il n'y a aucune légitimité à le faire. Donc pour une fois, moi aussi, je l'ouvre.

Mais il y a d'autres éléments. Une certaine mentalité dans le système scolaire qui semble ne pas avoir évolué en plus de 30 ans. Sur la question de la participation orale en classe, notamment. Pour faire simple, si tu es discret tu es catalogué timide, et c'est dommage parce que sinon tu pourrais réussir. Comme si l'introversion était à elle seule une cause d'échec totale de ta vie.

Il y a aussi les processus de recrutement. Le CV est trop succinct pour refléter réellement ton parcours (15 ans de carrière en une page aérée, la bonne blague) et l'entretien reste un exercice façonné pour les extravertis qui aiment s'exprimer et qui ont du bagou. Un candidat qui aime parler de lui me damera le pion sans effort.

Je suis introverti, j'ai un profil d'observateur, je prend du recul, de la mesure et je n'agis ni ne parle sans avoir bien réfléchi en amont. Je peux donc facilement donner l'impression d'être sur la réserve, voire dans l'inaction. Parfois d'être un suiveur ou en tout cas de ne pas être celui qui pousse les autres en avant.

Et pourtant !

Si tu es timide, introverti et que tu penses que la réussite c'est pour les autres, lis ce qui suit.

Car oui, je suis introverti mais…

Je sais entreprendre

Malgré mon attitude nonchalante et l'impression que je donne, parfois, de ne pas en glander une, j'aurai au cours de ces dernières années créé deux entreprises, monté une association sportive dans laquelle je donne des cours d'arts-martiaux, suivi une formation de lutherie en guitare, fabriqué plusieurs instruments et participé à plusieurs salons de lutherie en tant qu'exposant.

Pendant que je ne parle pas, je fabrique des guitares

Pour chacune de ces activités, j'ai tout géré de A à Z : la création, la gestion, la communication, le site web, les réseaux sociaux, la publicité, les relations clients et relations publiques…

J'avance à mon rythme mais j'avance, là où d'autres s'agitent, donnent l'impression de beaucoup s'activer pour finalement rester sur place.

Si tu es assez vieux, tu te souviens peut-être de ce slogan de publicité :

Ce sont ceux qui en parlent le moins qui en mangent le plus

Souviens toi, ce n'est pas parce que tu en parles peu que tes actions ont moins de valeur.

Je suis fédérateur (bon, un peu)

Dans l'imaginaire collectif, le charismatique beau gosse fort en gueule est entouré d'une foule en délire prête à le suivre jusqu'à la mort.

Sérieusement, tu as bien regardé Bill Gates, Mark Zuckerberg ou Steve Jobs ? Des types sur lesquels personne ne se retournerait dans la rue. Et au moins trois d'entre eux n'ont jamais eu vraiment l'air dans leur élément lorsqu'il s'agit de s'exprimer en public.

Comme je l'ai mentionné plus haut, je donne des cours d'arts-martiaux. Pendant la séance, on écoute ce que j'ai à dire, de 14 à 63 ans.

Je n'ai pas besoin d'être charismatique, ni d'imposer ma parole. Juste de montrer par l'exemple que ce que j'ai à dire vaut la peine d'être entendu.

Quand ce que tu montres a de la valeur, tu n'as pas besoin de justifier de ta valeur.

Je ne prétends pas que c'est facile, j'ai mis du temps à être à l'aise sur le tatami devant un public, mais même si on t'a dit le contraire toute ta vie, tu peux être introverti,  transmettre un message et être écouté.

de 14 à 63 ans, on m'écoute religieusement…

Le plus appréciable, c'est qu'en cas de besoin, ils sont là. Si je participe à une démonstration ou un événement quelconque, je n'ai pas besoin de taper du pied, ils m'accompagnent. Ça parait anodin, mais loin d'être une évidence, tant il devient difficile de dessouder les fesses des gens de leur canapé.

Oui, tu peux être le timide de la classe et pourtant devenir l'élément moteur d'un groupe.

Je fais bouger les lignes

J'avoue, l'exemple précédent présente un biais. Je suis le prof, donc forcément, on m'écoute. Mais même quand je ne parle pas, on m'écoute. 

Comment s'exécute ce prodige ? Voyons un exemple.

Lorsque j'étais Freelance, j'ai été contacté pour une mission d'urgence. Une application mobile qui explosait littéralement de tous les côtés. On m'a bien expliqué :

On n'a pas le temps de faire bien, on doit avancer vite !

En substance, deux développeurs faisaient évoluer l'application, j'étais chargé de colmater les brèches.

Très vite, j'ai signalé la base branlante sur laquelle était construite l'application. Du couplage partout, une violation permanente des bonnes pratiques, un irrespect total de l'architecture du projet, bref un vrai bordel. J'ai osé suggérer qu'on refactorise, qu'on nettoie le code : je me suis pris une levée de boucliers.

Puis on m'a confié une fonctionnalité à développer. J'ai estimé quatre jours de travail, on m'en a donné deux. Parce qu'on n'a pas le temps de faire propre. Déconne pas, hein, tu vas pas perdre du temps à faire les choses bien quand même ?

Quatre jours plus tard, donc, je publie mon code. Propre. Découplé des autres fonctionnalités. En respectant les bonnes pratiques. Parce que parfois, je suis un vrai rebelle. Et que la parole ne suffit pas toujours.

Je me souviens avoir lu, mais je ne sais plus où :

Il vaut mieux faire et présenter ses excuses après, plutôt que demander l'autorisation, parce que l'autorisation, tu ne l'auras jamais.

Alors bien sûr, ça a râlé. J'ai dit désolé. En vrai, je n'étais pas désolé du tout.

C'est parti en test. Je n'ai pas eu de nouvelles pendant une semaine. J'ai cru que j'étais cuit.

Puis le téléphone sonne, le CTO de la boite : 

— Ça fait une semaine qu'on teste ce que tu as livré, on n'a aucun crash, aucun bug de régression, juste une petite correction cosmétique à apporter et c'est prêt à être livré.
— Bah oui

Puis après le temps d'un soupir :

— on peut savoir comment tu as fait ?
 J'ai pris quatre jours.

Les deux autres développeurs ont été remerciés, j'ai eu le feu vert pour remettre de l'ordre dans l'application. Plus tard, j'ai été embauché en CDI dans la boite.

Tu ne seras peut-être jamais un grand orateur, mais tu as d'autres moyens pour convaincre. La démonstration par l'exemple en est un. Cela nécessite juste un peu de courage. Mais si tu as survécu dans notre monde en étant timide, j'imagine que tu ne dois pas en manquer.

Je m'entoure d'un cercle vertueux

Oh, ça parait bien prétentieux ça, encore plus que tout ce qui précède. Mais ce n'est pas moi qui le dit, ni ma maman, alors ça doit être vrai.

Il y a quelques jours, j'étais justement reconnaissant d'être entouré de personnes bienveillantes, volontaires, toujours prêtes à me donner un coup de main. Et ma compagne, surprise, m'a répondu en substance :

Tu n'avais jamais remarqué ? Quoi que tu fasses, tu finis toujours entouré de gens bien.

Alors j'ai pris quelques instants de réflexion, et avec un peu de recul… c'est pas faux.

Je ne sais pas à quoi cela tient. Un super-pouvoir ? Un talent caché ? Ou simplement ma façon d'être ? Ma capacité à feindre l'indifférence face à ce qui m'emmerde ? Parce qu'entre nous, ceux qui cherchent l'embrouille, leur raison d'être c'est qu'on les remarque. Moi, je les ignore et concentre mes efforts vers ceux qui me tire vers le haut.

Aussi loin que je me souvienne, je me suis toujours entouré de personnes que je considérais comme "meilleures" que moi. Mes amis ont toujours été des personnes brillantes dans leur domaine. Gamin, au Judo, je travaillais toujours avec plus grand, plus fort ou meilleur combattant que moi. Cela fait remonter en moi le souvenir d'un de mes professeurs d'arts-martiaux. Il disait :

Les gens qui ne m'intéressent pas, je les dégage.

Un peu brutal, certes. Et si mon point de vue est plus nuancé, j'imagine que ses paroles ont fait écho dans mon esprit et m'ont inspiré durant ma vie.

Si des cons te dérangent, si certains ne tolèrent pas ta réserve, se moquent de ta timidité : dégage-les de ta vie. Si tu ne peux pas : dégage-les de ta vie. Il y a toujours un moyen. Ne serait-ce qu'en s'entourant de gens bienveillants. Les gens bien, ça fait fuir les cons, c'est même à ça qu'on les reconnait.

Vraiment de la timidité ?

Pour finir, je vais te poser cette question étrange : es-tu réellement timide ? Ou l'es-tu devenu par injonction, parce qu'on te l'a répété encore et encore ?

Il arrive régulièrement que je patine à l'oral, que je bafouille ou donne l'impression de ne pas savoir quoi répondre. La vérité c'est que je me sens étriqué dans l'expression orale.

D'abord, celle-ci peine à refléter ce que j'ai réellement à l'esprit. Tu as peut-être remarqué, mes articles de blog sont souvent un peu longs et développés. Dans ma tête c'est pareil : je n'ai pas de réponse préétablie ou d'idée reçue à ressortir à volonté. Quel que soit la question qu'on me pose, j'ai immédiatement un arbre de réflexion complet qui se développe. Et celui-ci peut varier d'un instant à l'autre en fonction des éléments qu'on me fournit. Je révise mon jugement en permanence. Parfois même en temps réel alors que je m'exprime, parce que la phrase que je viens de prononcer m'a ouvert une nouvelle piste de réflexion. S'exprimer à l'oral devient alors un enfer.

Ensuite, et c'est plus personnel, j'ai souvent l'impression de ne pas intégrer le même système d'exploitation que mes semblables. J'ai du mal à saisir leurs intentions, je ne les comprends pas. J'ai appris à le faire au cours du temps, mais ce n'est pas naturel pour moi. Certaines choses paraissent évidentes à tout le monde mais me laissent perplexe. Par exemple, comment peut on avoir un chiffre préféré ? A chaque fois qu'on me pose la question, je me noie dans un océan de perplexité. Je suis le malheur des numérologues.

— Allez donne moi tes trois chiffres préférés
— Je n'ai pas de jugement de valeur concernant les chiffres
— Non mais tes chiffres porte bonheur quoi !
— Je ne suis réellement pas convaincu qu'un chiffre puisse porter chance
— Non mais t'es con ou quoi ? Il y a bien des chiffres qui font plus de sens pour toi ?
— Si tu insistes, le nombre π, la constante de Planck et le nombre d'Avogadro
— Mais j'ai pas ça dans mon tarot !

Je ne sais pas non plus parler de la pluie et du beau temps. Je comprends bien qu'il s'agit d'une norme sociale mais je n'arrive pas à m'y faire. Oui, j'ai bien vu qu'il fait beau, je ne suis pas benêt, c'est même pour ça que je porte une casquette et des lunettes de soleil. On est vraiment obligé de se faire un point météo ?

Bref, parfois je ne parle pas, c'est juste que la conversation ne m'intéresse pas. Ou que je n'ai pas de point fondamentalement plus intéressant à y apporter. Et bizarrement, ne pas parler quand on n'a rien à dire, ça gène les gens.

Alors, depuis que je suis petit on me répète que je suis timide. La vérité c'est que la plupart du temps, je trouve les questions qu'on me pose absurdes. Ou à l'inverse qu'elles nécessiteraient un essai pour y répondre convenablement, l'expression orale ne s'y prêtant pas.

Et pire, les réponses qu'on y donne sont rarement valables. Trop succinctes pour refléter la réalité, trop binaires pour y apporter la nuance nécessaire. Mais il semblerait que la plupart de l'humanité fonctionne ainsi. Pas moi. Et ça m'épuise. Au sens propre. Alors je parle peu et je choisis scrupuleusement mes interlocuteurs et les discussions dans lesquelles je m'engage. Question de survie.

Et toi ?

Tu te considères timide, introverti ou on te décrit comme tel. Mais quelle réalité se cache derrière ces mots ? Pourquoi as-tu du mal à t'exprimer ? La peur de parler ? Celle d'être mal compris ? La confusion dans ta tête ? Ou juste parler t'épuise ?

Je suis curieux d'avoir ton avis sur le sujet : à quel point ça t'handicape dans ta vie ? quels autres moyens ou alternatives as-tu trouvé pour t'exprimer ? As-tu à l'inverse réussi à en faire une force, en tirer un avantage ? Quels super-pouvoirs cachent ta timidité ?

Je te laisse le temps de la réflexion, mais ta réponse m'intéresse tellement que j'ai même réactivé le système de commentaire du site ! Si tu ne le vois pas, active le cookie dans la bannière (bouton en bas à gauche).

Sylvain

Sylvain

Un peu geek, diplômé en sciences et en informatique, Sylvain confectionne logiciels et applications depuis 2007.

Depuis peu il fabrique, répare et règle des guitares classiques, folks et électriques.

C'est aussi un père de famille, instructeur de Yoseikan Budo bénévole et musicien amateur.

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